La déclaration de Chicago sur l’inerrance
ENTRETIEN AVEC M. HENRI BLOCHER – PROPOS RECUEILLIS PAR REYNALD KOZYCKI
SERVIR : Vous avez participé à la rédaction de la déclaration de Chicago, quels souvenirs marquants vous viennent à l’esprit ?
L’inerrance
- L’inerrance concerne ce qu’a dit l’auteur biblique et non pas mon interprétation. Si je fais erreur à propos de ce qu’il a dit, bien évidemment l’inerrance ne couvre pas mon erreur.
- L’inerrance ne couvre pas les erreurs que le copiste a pu commettre. C’est l’inerrance de ce que l’auteur inspiré a dit (selon les conventions de son langage) et non pas de ce que les copistes ont écrit.
- Le genre littéraire, dans ses conventions de langage, doit aussi être pris en compte, les tournures imagées, l’usage tout à fait légitime des chiffres ronds, certaines inversions de l’ordre chronologique… Mais ce n’est pas retiret quelque chose à l’inerrance, ce n’est qu’une clarification.
- Un dernier point : on ne parlera pas d’erreur lorsqu’il ne s’agit que d’irrégularités par rapport à des conventions variables. Par exemple : la grammaire est une convention humaine variable. Il y a des choses qu’on pouvait dire au 17e siècle ou qu’on peut dire encore en Suisse Romande – par exemple « lui aider » – qui ne se diront pas en français actuel en France. Cela ne touche pas à la vérité du dire. Que les auteurs bibliques aient pu dire des « erreurs », par rapport à des normes grammaticales, à une certaine époque, cela entre plutôt dans les « irrégularités » par rapport aux conventions variables et ne touchent pas à l’inerrance. Ces délimitations n’enlèvent pas un atome de son poids à la notion d’inerrance.
SERVIR : En quelques mots, comment l’inerrance a-t-elle été comprise dans les siècles passés ?
Henri BLOCHER : A mon avis, l’inerrance a été la conviction constante des Pères de l’Église bien que le mot n’ait pas été utilisé. St-Augustin a été parfaitement clair (Épître 82) lorsqu’il pose la question : « Qu’est-ce que je fais si je trouve une erreur dans la Bible ? ». Il exclut d’imputer une erreur aux textes. Cette conviction a été constante dans l’histoire chrétienne. En ce qui concerne les réformateurs, je pense l’avoir démontré dans un article en ce qui concerne Luther, jamais il n’impute une erreur à un auteur inspiré. Plusieurs thèses de doctorat ont prouvé que Calvin maintenait clairement cette conviction.
Aux temps modernes ou au Moyen-Age, très marginalement, quelques auteurs ont fait de certaines inconséquences sur ce point. Matthew HENRY le grand commentateur biblique du 18e a pris une position qui n’est pas clairement inerrantiste. Au début du 20e siècle, on ne peut pas le nier, l’écossais James ORR, qui a été un grand défenseur de l’autorité biblique et l’un des rédacteurs des Fundamentals a lâché du lest sur l’inerrance, mais, dans l’ensemble, le relâchement était très marginal. Ce sont les catholiques qui ont employé les premiers, du moins du côté français, le mot inerrance. L’encyclique de Léon XIII en 1893 « Providentissimus deus » va aussi loin que les inerrantistes les plus stricts du côté évangélique, et même avec un ton plus crispé. Cela a été une position qui ne s’est relâchée qu’à partir de 1943 avec l’encyclique de Pie XII « Divino Afflante Spiritu ». Ce texte montrait qu’il fallait user de souplesse, sans contester l’inerrance, et cette encyclique a été prise comme une sorte d’autorisation de pratiquer la « critique biblique » dans une perspective non inerrantiste. Vatican II a d’ailleurs une formulation délibérément ambiguë.
Bible et mythes
SERVIR : Dans les médias, la Bible est souvent présentée comme un récit très « mythique ». Des archéologues très contestataires sur l’autorité de la Bible comme Israël FINKELSTEIN ont un grand succès en France. En quelques mots, comment répondriez-vous à ces critiques ?
Henri BLOCHER : Je répondrai en m’appuyant sur l’autorité de collègues, qui s’y connaissent plus que moi dans le domaine de l’archéologie. Je dirai d’abord qu’il ne faut surtout pas se laisser impressionner ou intimider.
Ces thèses sont réellement infondées, il y a aussi des archéologues qui ont tous les titres voulus, qui rejettent entièrement ces thèses très négatives sur l’histoire biblique. A l’université américaine de Weathon où j’ai enseigné, il y a un département d’archéologie biblique développé avec des professeurs qui passent une partie de l’année sur des chantiers de fouilles qui ne sont absolument pas d’accord avec les thèses de FINKELSTEIN (on pourrait parler de l’université de Trinity aussi ou de l’égyptologue anglais Kenneth KITCHEN). L’ouvrage de KITCHEN, On the Reliability of the Old Testament, 2003 – commenté par Matthieu RICHELLE dans notre revue Théologie Évangélique – a été accueilli bien au-delà des milieux évangéliques et dans les cercles archéologiques.
Les thèses de FINKELSTEIN sont l’illustration de la difficulté du travail historique et de l’interprétation archéologique reposant sur une documentation très fragmentaire. Nous n’avons que des « traces » à propos de l’histoire ancienne. On peut faire dire à ces documents fragmentaires un peu ce qu’on veut, selon les présupposés qu’on y apporte. Un esprit intelligent qui s’informe, peut toujours tordre les données et présenter un exposé qui a une allure académique, en apparence bien fondé. A mon avis nous avons, avec FINKELSTEIN, quelque chose qui ressemble méthodologiquement au négationnisme par rapport à la Shoah.
SERVIR : Merci !