Des oeuvres à durée limitée ?
Par Robert Souza
Nul ne peut s’attribuer une autre mission que celle qu’il a reçue de Dieu. (Jn 3.27, Bible du Semeur)
Parmi les textes du Nouveau Testament qui peuvent servir de base à une réflexion sur le thème « Églises et œuvres »1, le récit que nous trouvons vers la fin du chapitre 3 de l’évangile de Jean2 est particulièrement intéressant.
Le mouvement de Jean-Baptiste est récent, il est jeune et dynamique et il répond à un appel de Dieu : Un homme parut, envoyé par Dieu ; il s’appelait Jean. Jean-Baptiste est le précurseur et il remplit sa mission avec passion et dévouement. Chose intéressante : il ne s’offusque pas de voir ses meilleurs disciples s’en aller pour suivre Jésus. Cela lui semble tout naturel. Jean a bien saisi la différence entre construire une œuvre (personnelle) et accomplir l’œuvre que Dieu confie. À travers les âges, le Seigneur a suscité d’innombrables mouvements spirituels qui, par leur enthousiasme, par l’accent particulier mis sur telle ou telle vérité trop oubliée, par la réponse apportée à un besoin négligé, ont stimulé ou réveillé l’Église. Ces œuvres ont souvent joué un rôle de précurseur dans tel ou tel domaine.
Mais chacun est tenté…3
Tout mouvement spirituel subit des tentations (dont certaines sont mises en évidence dans ce texte) qui portent sur ce qu’on pourrait appeler le côté « ambigu » de ces œuvres qui sont au service de l’Église, qui sont même les bras, les jambes, la voix de l’Église, sans être elles-mêmes des églises locales. Il y a toujours, en particulier, la tentation de se laisser distraire de la mission à accomplir, pour tout investir dans la pérennisation du mouvement lui-même.
Jean-Baptiste n’approuve pas l’attitude de ses disciples, mais cela n’empêche pas que ceux-ci manifestent à la fois un esprit de concurrence et un esprit comptable de mauvais aloi.Il est vrai qu’ils ont été provoqués par un Juif anonyme qui – peut-être avec perfidie, pour semer la zizanie – a demandé : Quel baptême purifie le mieux ? Celui de Jean ou celui de Jésus ? Les disciples du Baptiseur sont troublés. Ils se mettent à craindre la concurrence de Jésus et à compter les baptisés. C’est toujours mauvais signe ! Ils glissent ainsi vers une mentalité sectaire, car de « nos » baptisés à nos adeptes, il n’y a qu’un pas. Jean-Baptiste lui-même est un « ouvreur », mais il est évident ici que certains de ses disciples se renferment déjà dans un « culte du fondateur » qui fait passer la volonté et le plan de Dieu au second plan.
Une histoire sans fin ?
Au fait, qu’est devenu le mouvement de Jean ? S’est-il éteint avec son fondateur, mission accomplie ? Pas du tout ! Quand Paul arrive à Éphèse vers l’an 52, il est confronté à un groupe de disciples de Jean-Baptiste qui n’avaient même pas entendu qu’il y ait un Esprit Saint4.Ensuite, un texte du IIIe siècle parle de certains disciples de Jean qui croyaient que leur maître était lui-même le Christ. Mais le plus fort est qu’aujourd’hui encore, au XXIe siècle, il subsiste en Syrie et en Irak des confréries d’adeptes du Baptiseur. Il y a des mouvements qui ont la vie dure !
Les mouvements spirituels vont et viennent. Les œuvres apparaissent et disparaissent selon les époques et les besoins. L’Église reste ! Il faut admettre que nous sommes beaucoup plus doués pour faire naître ces organisations et pour les perpétuer que pour les laisser disparaître quand elles ont servi. Il y a un avertissement dans le fait que les disciples de Jean ont cru que Jésus cherchait à récupérer leur meilleure idée : le baptême, la purification. Aucun mouvement n’est propriétaire de son message : on ne possède pas la vérité ! On est saisi par une vérité qui inspire une action et motive un ministère. Le mieux qui puisse arriver à un mouvement spirituel est de voir son idée-force reconnue et adoptée par le plus grand nombre ! Mais alors surgit le danger que les membres du mouvement en arrivent à regretter un tel succès… Ensuite, insensiblement,l’organisation risque de se radicaliser et de devenir excessive dans la formulation de son message ou dans les formes que prend son action, pour se ménager une raison d’être et – surtout – de durer.
Un devoir de discernement
Que le Seigneur nous donne de la sagesse ! Soutenons sans faiblir les œuvres que Dieu met sur notre cœur et qui sont, de toute évidence, porteuses d’une vision et génératrices d’une action qui glorifient le Seigneur. Mais ayons aussi le courage, le cas échéant, d’admettre et de faire admettre que tel mouvement a fait son temps, que les ressources investies pour l’empêcher de disparaître pourraient être mieux employées ailleurs. La mission des mouvements spirituels que Dieu suscite est de stimuler et de réveiller les églises, puis parfois – le moment venu – de s’effacer comme Jean-Baptiste s’est effacé. La devise de Jean est valable également pour nos œuvres : Il faut que lui [le Christ] croisse et que, moi, je diminue.
R.S.
NOTES
1. On trouvera également du « grain à moudre » en considérant es relations entre équipes missionnaires et églises locales (Actes, épîtres de Paul).
2. Versets 22 à 30.
3. Jc 1.14, Colombe
4. Actes 19.2