Que veux-tu… quand j’ai mal ?


Par Sylvain Lombet
 

 

En lisant et en étudiant la Bible, chacun peut répondre, du moins en partie, au début de cette question : « Que veux-tu… ? » En effet, la Bible nous révèle le projet qu’avait Dieu à l’origine de l’être humain, ce que ce projet est devenu à cause du péché, et le salut que Dieu a mis en oeuvre pour rétablir les choses. Par sa Parole, Dieu se révèle à l’homme. Et pourtant, la « volonté de Dieu » demeure inaccessible à la pensée humaine. Le psalmiste l’exprime à sa façon : « Cette connaissance étonnante me dépasse, elle est trop élevée pour que je puisse la saisir1. » Il y a quelque chose qui nous échappe, et qui nous échappera toujours dans la volonté de Dieu.

 

Mais cette question : « Que veux-tu ? » peut prendre une intensité particulière lorsque nous sommes confrontés au problème du mal. Voyons quelques réactions possibles.

 

 

Contre Dieu

 

Une des façons de réagir face au mal, c’est d’accuser Dieu de ce mal. C’est souvent la réaction de l’incroyant (l’athée) qui dit nier l’existence de Dieu à cause de la présence du mal dans le monde : « Si Dieu existait, il n’y aurait pas de mal… » Cette réaction part d’une révolte juste contre le mal. Elle nous donne même l’intuition que l’incroyant serait peut-être prêt à croire en Dieu s’il ne se présentait pas, à ses yeux, sous les traits d’un sadique ou d’un incapable.

 

1- Un dieu sadique

 

Le sadique tire profit de l’angoisse qu’il provoque chez l’autre. Dans une situation de souffrance, quelqu’un peut être tenté d’attribuer à Dieu cette attitude-là. Il pourrait tenir le raisonnement suivant : si Dieu peut ôter le mal, et qu’il ne le fait pas, alors ce dieu-là est sadique. Il laisse l’homme souffrir inutilement, sans intervenir. On pourrait même imaginer ce dieu-là se frottant les mains du spectacle de l’homme trébuchant face au mal…

 

2- Un dieu incapable

 

Ou bien si Dieu n’ôte pas le mal, cela pourrait signifier qu’il n’en est pas capable. Sa puissance même serait en cause. Dieu voudrait bien aider l’homme face au mal, mais sa faiblesse l’en empêcherait, il ne peut pas intervenir ! Dans cette perspective, le mal aurait donc le dernier mot, sortant vainqueur du rapport de force avec Dieu. Dans ce caslà, Dieu aurait créé un monde qu’il ne pourrait ni gérer, ni assumer…

 

Ces deux images de Dieu, « le sadique » et « l’incapable », ne correspondent en rien au Dieu qui se révèle dans la Bible2, mais peuvent néanmoins nous revenir en tête lorsque nous souffrons.

 

 

Pour Dieu

 

Une autre réaction consiste, non pas cette fois à se positionner contre Dieu, mais à prendre sa défense. C’est souvent l’attitude du croyant soucieux de ne pas compromettre Dieu avec le mal. Le raisonnement pourrait prendre la tournure suivante : Dieu est saint et il ne tolère pas le mal. Dieu ne se mêle pas du mal, c’est contre sa nature. Dans ce raisonnement, qui part d’une affirmation biblique juste (Dieu est saint et il ne tolère pas le mal3), l’objectif serait d’innocenter Dieu d’une quelconque responsabilité du mal qui accable l’homme.

 

Dans la Bible, l’attitude des « amis » de Job est un exemple extrême de ce point de vue. Dans leur discours, ils défendent Dieu contre Job, car, pour eux, la façon dont Job interpelle Dieu au sujet de son malheur est prise comme un affront. Mais leur souci d’innocenter Dieu est tellement fort, que leur discours tombe finalement dans l’absurde, voire la haine. Ils s’enferment dans leur théorie qui croit qu’un homme souffrant est forcément coupable d’une faute devant Dieu.

 

Et c’est là le problème. Quand on cherche à excuser Dieu comme cela, en défendant l’image qu’on se fait de Dieu (ce qui est la même chose), on risque d’en arriver à considérer que la souffrance est toujours justifiée (en raison de sa valeur « pédagogique », par exemple). Voire même qu’elle est toujours méritée (en raison d’un « péché caché », par exemple). Ce qui n’est pas le cas pour Job : l’auteur du livre soutient son innocence du début à la fin. Si quelqu’un se trouve dans une situation de souffrance, cela ne constitue pas nécessairement une preuve de sa culpabilité devant Dieu.

 

Comme les « amis » de Job, nous pourrions croire que le mal que nous subissons a toujours un sens. Cette attitude est logique d’une certaine manière, parce que nous cherchons à expliquer pourquoi nous vivons telle ou telle chose, et pourquoi Dieu « permet » ou « veut » cela… Mais est-elle juste ?

 

Comment sortir alors de cette tourmente ? Car si nous disons que Dieu « veut » le mal, ne risque-t-il pas de passer pour un sadique ? Et si nous disons que Dieu ne veut pas le mal, ou le « permet », comment ne pas croire que le mal échappe finalement à son contrôle ?

 

 

Avec Dieu

 

La réponse biblique est différente des précédentes. Pour la Bible, le Dieu qui s’est révélé à Abraham, Isaac et Jacob, le Dieu de Jésus-Christ, n’est ni pervers, ni incapable, ni irresponsable. Il ne pousse pas l’homme dans la souffrance, et il ne baisse pas non plus les bras. Au contraire, loin de se désintéresser du mal, Dieu a été le premier à agir. La réponse biblique de Dieu face au mal n’est pas une réponse explicative, mais active. Dieu n’a pas jugé bon de disserter avec nous sur le pourquoi des événements, mais il a jugé bon d’entrer lui-même dans le problème du mal. En cela, le Dieu de la Bible n’a aucun rapport avec les dieux païens, coupés du monde des hommes, sauf pour s’en servir égoïstement…

 

Dès la Genèse, à peine le mal est-il commis, que Dieu vient à la rencontre de l’homme et de la femme, certes coupables, mais en premier lieu victimes du discours du serpent. Comment Dieu intervient- il dans ce problème ? Par le biais du combat. Et dans ce combat contre le mal, Dieu se place du côté de l’être humain et de sa descendance (Gn 3.15). Ce mal, qui a fait irruption par surprise dans la Création, ne trouve aucune place, aucune justification dans le récit biblique. La seule réponse qui lui est donnée, c’est une opposition farouche !

 

Cette opposition, Dieu l’a particulièrement manifestée en allant lui-même au coeur du problème. Il est venu s’inscrire en personne dans la descendance humaine, il y a 2000 ans : en Jésus- Christ, Dieu s’est fait réponse à la question : « que veux-tu… quand j’ai mal !? » Vrai Dieu et vrai homme, il a vécu parmi nous sans commettre le mal. Il a pris sur lui le problème du mal, à la croix, pour nous sauver. Mais ce n’est pas tout. Car un Dieu mort ne servirait à rien. Jésus a traversé la mort, Dieu l’a ressuscité ! Il est vivant aujourd’hui.

 

 

Et ça change quoi pour moi… ?

 

Qu’est-ce que le message biblique pourrait avoir comme conséquences dans nos vies ? Ce message signifie qu’il n’y a pas nécessairement de lien de cause à effet entre subir le mal et commettre le mal. Par sa vie d’homme, Jésus-Christ a ouvert un chemin qui nous libère du destin, de la fatalité du péché sur nos vies4. Quelle que soit notre histoire, les conditions dans lesquelles nous sommes venus à la vie, dans lesquelles nous avons grandi, quelles que soient les erreurs des autres ou les nôtres, quels que soient les drames que nous vivons (une maladie, un deuil, un accident, les conséquences d’un mauvais choix personnel…), bref, quelle que soit la situation qui nous fait mal, il y a en Jésus-Christ un chemin nouveau à prendre, un chemin de vie et de vérité5.

 

La Bible ne nous promet pas d’éviter la souffrance ni même la mort, mais elle nous donne cette espérance, cette « bonne nouvelle » que le mal et la mort ont été vaincus à la croix du Christ et ne sont là qu’en sursis. Le mal n’a pas le dernier mot. Si je souffre, ma souffrance actuelle n’est pas l’objectif de ma vie. Il y a un chemin à travers et au-delà de la souffrance. Un chemin de vie et non de mort.

 

Si Dieu n’apparaît pas dans la Bible comme la cause du mal, il en fait pourtant sa cause, son combat. Si je suis confronté au mal, je trouve donc en Dieu un allié de choix puisque, comme lui, j’affronte le même adversaire. Face à ce même adversaire, nous pouvons donc lutter ensemble. Si je souffre, l’enjeu est donc de parvenir à déplacer le problème. À passer de la question : « Pourquoi ? » (Pourquoi veux-tu ce qui m’arrive ? Pourquoi ce mal ? Pourquoi ne fais-tu rien ? etc.), à la question : « Comment ? » (Comment lutter ensemble ? Comment traverser cette épreuve avec toi ? etc.)6

 

S.L.


NOTES
 
 
1. Psaume 139.6
 
 
2. En ce qui concerne un Dieu non sadique, lire par exemple Jacques 1.13
 
 
3. Lire par exemple Lévitique 19.2, Romains 1.18.
 
 
4. Hébreux 4 : 15
 
 
5. Jean 14 : 6
 
 
6. Pour aller plus loin sur le thème développé dans cet article, voir par exemple Adolphe GESCHE, Dieu pour penser, tome I, Le mal, Cerf, 1993.