La contraception
par le Dr Daniel BOGGETTO
Un constat préalable
Dans les milieux chrétiens, on a souvent réduit la question de la contraception au seul choix des techniques moralement acceptables pour éviter d’avoir des enfants. Cette approche nous dérange pour deux raisons :
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Derrière le terme « contraception » on pressent une connotation essentiellement négative : éviter d’avoir des enfants, comme s’il fallait se protéger « contre » un danger qui guette constamment. Notre société matérialiste et hédoniste désigne la liberté individuelle, l’épanouissement personnel (physique, professionnel, culturel…) en tant que valeurs supérieures. D’où le recul inquiétant de l’âge de la première grossesse, avec la baisse de fécondité de femmes déjà âgées. Il faut bien reconnaître que la survenue d’enfants dans un foyer met parfois à mal cet idéal, tant une naissance nécessite des adaptations, un recentrage des investissements sur le bébé. A ce terme, nous préférerions celui de « planification des naissances ».
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La Parole de Dieu au commencement place le couple originel à la fois sous une bénédiction et une injonction qui consistera à se multiplier et à assujettir la création (Gn 1.28). L’exercice de la fécondité fait donc partie des fondements de la vocation humaine. A trop réagir contre le fait que l’église catholique ait longtemps présenté la fécondité comme l’objectif unique de la sexualité, on a basculé dans le déséquilibre inverse consistant à minimiser cette mission du couple. Pourtant, ni la Chute, ni la Nouvelle Alliance n’ont altéré cette mission.
En allant ainsi droit à la question des moyens très efficaces à utiliser, on prend le risque de court-circuiter la réflexion préalable essentielle que tout couple devrait avoir sur le projet global de Dieu le concernant (combien d’enfants et quand ?).
Le socle biblique d’une éthique chrétienne de la planification des naissances
Les paroles d’Eve, premières paroles d’une mère à l’issue du premier accouchement de l’histoire de l’humanité, sont significatives : « J’ai acquis un homme de par l’Eternel » (Gn 4.1).
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Reconnaissance que toute vie trouve sa source en Dieu et pas seulement dans un processus biologique maîtrisable à volonté.
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Constat que ce processus ne se fait pas en dépit de l’homme et de la femme, mais en plein exercice de leur responsabilité.
Ces deux vérités sont indissociables comme les deux faces d’une même médaille :
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« Etre féconds, multiplier » : c’est le résultat de la grâce du don de la vie par Dieu seul.
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« Assujettir » : c’est l’espace de responsabilité auquel Dieu nous invite.
L’exercice d’une responsabilité équilibrée
On ne peut pas dire « II faut laisser faire la nature… » sans faire preuve de responsabilité. C’étaient souvent des maris que l’on entendait s’exprimer ainsi ! Au risque d’une grossesse tous les 11 mois tout au long de la vie génitale d’une épouse épuisée… Au risque de concurrencer Mme Fiodor Vassiliev qui eut 69 enfants en 27 grossesses (4 fois des quadruplés, 7 fois des triplés, 16 fois des jumeaux) ! La physiologie féminine (fécondable quelques jours par cycle et non à chaque rapport comme nombre de mammifères) constitue une invitation du Créateur à considérer la possibilité de faire un choix. Construire une famille n’est pas moins sérieux que construire une tour, pour laquelle Christ nous invite à nous asseoir et calculer (Lc 14.28).
Mais cette responsabilité qui nous est déléguée par le Créateur, ne s’exerce pas dans l’autonomie d’une sourde maîtrise technicienne, sans un subtil équilibre entre la volonté du couple et l’attente permanente des projets de Dieu. A tout moment de l’histoire de la famille, une oreille reste tendue vers Dieu à la recherche de sa volonté : « Serait-il temps d’envisager une nouvelle grossesse que Dieu voudrait pour nous ? Ce nombre d’enfants que nous avions idéalisé ne serait-il pas à réviser maintenant ? Ne sommes-nous pas en train de faire prévaloir abusivement des projets professionnels, patrimoniaux sur les projets familiaux ? »
Une vie familiale en résonance avec les intentions divines, c’est un choix de modes contraceptifs adaptés aux exigences du moment aux différentes phases de la vie du couple. « Le Seigneur nous montre, pour diverses raisons, que le temps n’est pas au projet d’un nouvel enfant » : le choix s’oriente vers des moyens plus fiables en terme d’efficacité. « L’éventualité d’une grossesse serait accueillie dans la paix, même si elle n’était pas précisément programmée» : des moyens plus « soft », moins fiables peuvent être adoptés…
Ce n’est plus la maîtrise absolue de la fécondité et à n’importe quel prix qui constitue l’objectif du couple, mais le respect constant du projet divin pour lui.
Une telle communion du projet familial avec le projet de Dieu incite à un regard nouveau sur « l’échec contraceptif ». Souvent vécu de façon dramatique par nombre de couples, source de crises spirituelles ou conjugales, d’effondrements psychologiques. Ne serait-il pas possible d’y discerner la surprise de Dieu, manifestation imprévue de sa grâce qui nous force peut-être un peu la main au moment présent, mais si souvent reconnue comme bénédiction plus tard ?…
L’épreuve difficile de la stérilité du couple, vue sous cet angle de la souveraineté absolue de Dieu sur le don de la vie, peut être vécue et affrontée dans un esprit nouveau : ni résignation devant toute affection curable, ni « acharnement procréatique » exagéré (multiples tentatives épuisantes sur le plan humain et parfois éthiquement contestables).
La question de stérilisation, en ce sens qu’elle ferme définitivement toute possibilité de retour en arrière, toute remise en question d’une décision de maintenant que Dieu inciterait à réviser plus tard, invite à une réflexion sérieuse et prolongée en vue d’une solide conviction.
Le choix des moyens
La place nous manque ici pour établir :
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scientifiquement que cette vie intra-utérine ne connaît aucune discontinuité de la fécondation jusqu’au terme (la nidation n’est qu’une adaptation du « débit nutritif » aux besoins de l’œuf).
Sur un plan éthique, toute régulation des naissances par un processus contragestif est assimilable à une interruption de grossesse, donc récusable.
Agissent sur ce mode :
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la régulation menstruelle par RU 486,
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le stérilet,
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la pilule progestative micro-dosée, les progestatifs injectables, les progestatifs implantables, la « pilule du lendemain » agissent par un mécanisme mixte (modification de la glaire cervicale, blocage de l’ovulation, mais aussi anti-nidatoire).
Sont acceptables, en fonction de la conviction propre de chaque couple, sa tolérance et sa capacité à en user :
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les méthodes anti-ovulatoires : pilule oestro-progestative (la méthode, de loin la plus utilisée car la plus fiable),
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les méthodes empêchant la rencontre des gamètes mâle et femelle :
– mécaniques ou chimiques : préservatif masculin ou féminin (diaphragme), ovules et crèmes spermicides,
– par abstinence périodique : observation des jours du cycle, détection des périodes de fertilité (glaire cervicale et température), retrait.
Les taux d’efficacité de ces méthodes éthiquement acceptables vont de 100% pour la pilule oestro-progestative à des taux bien plus faibles pour les méthodes par abstinence périodique, selon le niveau d’entraînement du couple. Ces méthodes dites naturelles conviennent à des phases de la vie du couple où l’objectif de régulation des naissances est moins impératif et l’échec contraceptif acceptable.
Qu’avec souplesse, discernement, sans conformisme au monde et en pleine conviction, chaque couple, dans ce domaine aussi, fasse tout pour la gloire de Dieu (1 Co 10.31).
D.B.