Le lavement des pieds
par Reynald KOZYCKI
« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait ». Jn 13.14-15
Faut-il prendre littéralement ce « commandement » de Jésus et ajouter une pratique régulière de « lavement des pieds » dans nos rencontres d’Eglise, ou devons-nous comprendre les paroles ci-dessus dans un sens symbolique ?1
Pratique courante pour certaines Eglises
Irénée de Lyon en parle au IIe siècle ; Ambroise de Milan (IVe) « l’institue » pour les nouveaux baptisés, juste après la proclamation de leur foi. Augustin le suggère comme une pratique ponctuelle. Le synode de Tolède le recommande en 694. L’Eglise Catholique l’introduit dans les rites du jeudi saint dès le XIe siècle. Bernard de Clairvaux voulait en faire « un sacrement ».
La Réforme protestante a refusé, dans l’ensemble, de voir le lavement des pieds comme une pratique régulière de l’Eglise2 . Pourtant plusieurs Anabaptistes, quelques Baptistes, les Moraves jusqu’en 1818, les Adventistes du 7e jour, et plus près de nous, les Frères de la Grâce ont mis un accent particulier sur ce geste.
Contexte biblique
Dans la culture orientale de l’Ancien Testament, le lavement des pieds est fréquent à cause de la poussière ou la boue des routes. Lorsqu’une personne arrivait d’un voyage, on lui présentait souvent une bassine d’eau pour se laver elle-même les pieds ou se les faire laver par le dernier des esclaves .3
Lors de la soirée rapportée en Jean 13, Jésus et ses disciples arrivent au lieu du repas, mais personne n’est disposé à préparer une bassine pour le lavement des pieds et encore moins à le faire pour les autres. Luc rapporte une des discussions entre les disciples ce soir-là, à savoir, lequel est le plus grand parmi eux (Luc 2.24). Jésus se lève de table, quitte ses vêtements de dessus et prend une serviette. Il verse de l’eau dans une bassine, lave les pieds de ses disciples, puis les essuie (Jn 13.4-5).
Lui, le Maître et le Seigneur, agit comme le dernier des esclaves envers ses disciples. Pierre, dans un premier temps, refuse radicalement, mais Jésus donne un sens particulier à cet « acte ». Ce n’est pas seulement un exemple d’humilité et de dévouement, mais le symbole d’une purification spirituelle, sans laquelle Pierre ne peut avoir part au salut Jean13:8). Finalement Pierre comprend mieux ce geste et demande même à être « entièrement lavé ». Puis au verset 12, Jésus en tire une leçon pratique : « Je vous ai donné un exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait » (Jean13:15). Jésus institue-t-il une pratique à renouveler régulièrement ? 4
Evaluation de ce commandement
Le seul « mémorial »institué clairement par Jésus est la cène. Les trois premiers évangiles le mentionnent. Les Actes et les Epîtres confirment largement sa pratique régulière. De plus, les chrétiens des premiers siècles ont suivi unanimement le partage du pain et du vin5 . Concernant le « lavement des pieds », seul l’Evangile de Jean le mentionne, dans un contexte qui semble privilégier l’exemple « symbolique »6 .
Ni les Actes, ni les Epîtres ne donnent l’exemple de cette pratique. Le seul cas des veuves (1 Tm 5) appuie plutôt la notion d’hospitalité orientale. En plus, avant le IVe siècle, les mentions de cette pratique sont rares7 , et le plus souvent en rapport avec le baptême des nouveaux croyants à la période de Pâques. Le contexte de Jean 13 semble suggérer plutôt un exemple à suivre dans notre vie quotidienne. Le Maître nous presse à rechercher une humilité profonde et concrète dans la relation avec notre prochain.
Conclusion
Même si nous pensons que le lavement des pieds n’est pas une « institution » équivalente à la cène, Jean 13 laisse malgré tout la place à une éventuelle pratique ponctuelle. Le commandement de Jésus s’applique en revanche chaque jour, davantage comme un état d’esprit de service et d’humilité qu’un geste à reproduire littéralement. L’application spirituelle liée au lavement des pieds devrait nous interpeller constamment dans nos relations fraternelles.
R.K.
NOTES
1. Pour cette courte étude nous nous sommes référés à plusieurs ouvrages dont les plus pertinents seraient : Paul Klawitter et Florent Varak. Le repas du Seigneur et les Eglises Evangéliques de Frères. Edition Clé. 1996, p. 21-35 ; Jules-Marcel Nicole, Précis de doctrine chrétienne, Editions IBN. 1983, pages 279-280 ; Alfred Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Evangiles et Actes. Emmaüs, 2002, page 568-570 ; ainsi que les grands commentaires sur l’Evangile selon Jean (chapitre 13). Sur internet, voir le dossier de l’ERF sur le lavement des pieds www.erf-rp.org ; Homélie du cardinal Alfonso Lopez, 24 mars 2005 sur www.vatican.va et les très nombreuses références en anglais comme l’encyclopédie mennonite : www.anabaptistnetwork.com/node/316.
2. Calvin tournait en dérision cette pratique dans l’Eglise Catholique : « Tous les ans, ils auront une manière défaire, qu’ils lavent les pieds à quelques gens, comme s’ils jouaient une farce sur une scène… Le vrai sens de l’ordre de Jésus est que nous soyons prêts à toute heure et tout le temps de notre vie, à laver les pieds de nos frères et de nos prochains » (Commentaire sur l’Evangile de Jean. Paris, 1854, p. 281).
3. Voir Gn 18.4 ; 19.2 ; 24.32… Le lavement des pieds fait par le dernier esclave apparaît en 1 S 25.41.
4. C’est dans ce sens que. par exemple, P Klawitter et F Varak commentent Jn 13.15 : « Jésus, sans aucune possïbilité de doute, a commandé aux apôtres de pratiquer le lavement des pieds, et bien sûr de vivre la réalité qu’il illustre », in Le repas du Seigneur…, p. 30.
5. Certains estiment que la cène était toujours précédée du lavement des pieds dans le Nouveau Testament. Rien ne l’affirme clairement. Nous imaginons mal, dans Actes 2, les trois milles convertis « rompant le pain chaque jour » avec les apôtres, et se lavant les pieds avant chaque cène. De même, dans l’Eglise de Corinthe, la longue explication de Paul sur la cène, en 1 Co 10 et 11, l’aurait mentionné, si cela avait été le cas.
6. Godet écrit que les mots ne conviennent pas à l’idée d’une institution, sinon Jésus aurait dit « ce que j’ai fait pour vous » (ho) au lieu de « comme j’ai fait » (kathos) au verset 15. Commentaire sur l’Evangile de Saint-Jean. Edition de l’imprimerie nouvelle, Neuchâtel, Tome 2, p. 239
7. Irénée de Lyon et Tertullien le mentionnent vers 150-180.