Gestes, ordonnances ou sacrements1
par François-Jean MARTIN
Dans la traduction latine du Nouveau Testament, on a utilisé le mot sacramentum qui a donné en français le mot sacrement, pour rendre le mot grec mustérion qui a donné en français le mot mystère. En latin le mot sacramentum désigne un dépôt placé dans un temple comme garantie d’un contrat ou encore un serment en particulier militaire. Le mot français serment en provient. Le terme a pris une connotation religieuse et désigne une cérémonie qui constitue le signe visible d’une chose sacrée ou une forme visible de la grâce divine invisible.
Pour l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe, le sacrement (elles en reconnaissent sept : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, onction des malades, ordi-nation et mariage) est efficace pour lui-même pour transmettre une grâce. Il en est le canal obligé. Il n’est salutaire que pour celui qui le reçoit avec de bonnes dispositions, mais on n’est pas trop exigeant dans ce domaine. Pourvu que le bénéficiaire ne fasse pas obstacle à l’entrée de la grâce, cela suffit. C’est ce qu’on appelle l’efficacité ex opère operato, en vertu de l’action accomplie.
Les Protestants n’ont retenu que deux sacrements : baptême et eucharistie. Les Luthériens croient au caractère indispensable des sacrements en vue du salut mais ils insistent sur le fait qu’ils sont efficaces en vertu de la parole qui les accompagne et sur la nécessité de les recevoir avec une foi personnelle.
Calvin y voit « un signe extérieur par lequel Dieu scelle en nos consciences les promesses de sa volonté envers nous pour confirmer la faiblesse de notre foi ; et nous, réciproquement, rendons témoignage tant devant lui et les anges que devant les hommes que nous le tenons pour notre Dieu ». Pour lui les sacrements sont des « instruments inutiles et vains sans l’opération de l’Esprit, néanmoins ils sont pleins d’efficace quand l’Esprit besogne dedans ». Le Seigneur est libre de nous bénir avec ou sans le geste extérieur. Le sacrement sans être le véhicule de la grâce, n’est pas non plus un signe dépourvu de valeur : en effet si nous le recevons avec foi, Dieu nous accorde réellement par son Esprit ce qu’il nous promet par le signe.
Pour Zwingli et les courants anabaptistes, il s’agit pour le fidèle d’un engagement personnel par lequel il témoigne de sa foi aux promesses divines. Pour eux la cérémonie n’est pas accompagnée d’une effusion de la grâce mais sert de confirmation, de signe mémorial et visible d’une foi déjà établie dans le cœur du croyant.
Une majorité des Protestants du courant appelé Evangélique va plus loin et n’emploie pas le mot sacrement. En effet il n’apparaît pas dans le sens actuel dans le Nouveau Testament et de plus, on voulait éviter la confusion avec le sens que lui donnent les Catholiques, sens non biblique. Mais les Evangéliques parlent à la place d’ordonnances, en référence à l’ordre donné par le Seigneur à leur sujet.
Nos Eglises CAEF souscrivent bien sûr à cette dernière terminologie et surtout à sa compréhension théologique. Si l’emploi de ce terme a le mérite de bien nous démarquer de la compréhension catholique que nous n’acceptons pas, il permet aussi de garder à ces deux actes un caractère respectueux et une réelle reconnaissance de leur importance. Mais cette appellation présente aussi ses limites dans le sens que nous avons reçu du Seigneur d’autres ordres que pourtant nous ne qualifions pas du terme d’ordonnance. C’est la limite du langage qu’il nous faut reconnaître et accepter.
Comment qualifier alors les autres actes comme l’onction d’huile, le lavement des pieds, la présentation des enfants, le baiser fraternel, qui sont parfois pratiqués dans les Eglises Evangéliques ? On parle à leur sujet de : gestes. On remarque que leur emploi n’est pas général, que l’un est pratiqué dans une dénomination et pas dans l’autre et que. dans une même famille d’églises, son emploi n’est pas général mais dépend de la compréhension et de la sensibilité des pasteurs de la communauté.
Mais de toute façon il n’est jamais conçu comme une ordonnance. Le choix du terme montre qu’il s’agit d’actes communautaires ayant valeur de signe. Si notre foi repose sur des choses invisibles, elle ne s’en incarne pas moins et les ordonnances elles-mêmes sont démonstratives de cet aspect. En tant qu’êtres humains nous avons besoin d’actes, de gestes, qui symbolisent des aspects spirituels forts. Ils nous aident à les comprendre.
Ces gestes ne sont donc pas sans importance, ils renforcent des vérités bibliques en les matérialisant, ils renforcent aussi la vie communautaire par des moments liturgiques forts mais il nous faudra toujours veiller à ne pas les sacraliser, à ne pas les rendre obligatoires pour l’expression d’une vie normale d’Eglise. C’est dans l’équilibre entre leur rejet par crainte d’une institutionnalisation et de leur emploi conçu comme indispensable à la vie de l’Eglise que va devoir se trouver notre vécu. Nous comprenons alors qu’une grande marge de manœuvre nous est laissée et que la pratique ou non, de ces gestes ne doive pas entraîner des divisions.
F-J. M.
NOTE
1. : Ce texte doit beaucoup au travail de M. J.-M. Nicole. Précis de doctrine chrétienne. Editions de l’Institut Biblique, 1983. sans pour autant l’engager. II avait par exemple sur la question des sacrements une position plus calviniste alors que j’ai une position zwinglienne.