Les solitudes de la vie
par Jonathan HANLEY1
Les solitudes de la vie : une réponse pastorale
Le responsable d’église qui aborde la question de la solitude dispose d’un atout considérable : il en a certainement fait l’expérience. La solitude n’épargne personne. Tôt ou tard, à des degrés divers, elle nous affecte tous. Toutefois, que dire à l’homme ou la femme qui exprime une souffrance due à la solitude et qui s’attend à ce que le pasteur, l’ancien, l’église ou la Bible lui, apporte du réconfort ?
Dans cet article, je commence par aborder brièvement la question de la solitude dans les Ecritures. J’évoque ensuite deux causes principales de solitude dans la vie contemporaine : la vision de l’individu et le péché, en suggérant des approches pastorales concrètes. Je termine par un regard jeté sur les atouts de nos églises locales pour résoudre ce problème.
Comment la Bible parle-t-elle de la solitude ?
La Bible ne mentionne pas souvent la solitude, si ce n’est dans le cadre d’une punition qui résulterait de l’infidélité à Dieu 2. L’Ecclésiaste dépeint la solitude comme une remise en question de la raison de vivre 3. Les textes de la Genèse, fondateurs de notre anthropologie chrétienne, rapportent la déclaration divine « II n’est pas bon que l’homme soit seul »4. La solitude vécue comme un sentiment de souffrance individuelle est peu présente dans les pages de l’Ecriture.
Dans les circonstances normales de la vie, la culture des temps bibliques ne concevait pas la personne en dehors du cadre communautaire (famille, village, tribu, peuple). La structure communautaire faisait de la place à l’individu, notamment à celui dont la vulnérabilité l’exposait à la solitude. Les recommandations en vue de l’intégration de l’étranger, de l’orphelin et de la veuve abondent dans ce sens. Aujourd’hui, notre société est loin de cette façon de vivre.
Etant donné que nous ne pouvons pas régler la question de la solitude en recréant le contexte social des temps bibliques, il nous faut adopter une autre approche pour commencer à répondre aux besoins. De plus, les solitudes de la vie sont tellement nombreuses et diverses que nous ne pourrions jamais espérer les résoudre toutes.
En fait, la plupart des souffrances exprimées en lien avec la solitude sont comme les symptômes d’une maladie : même si l’on peut les soulager, il est beaucoup plus efficace d’attaquer la cause bactérienne ou virale à l’origine du mal. Ainsi je propose de remonter en amont de la solitude elle-même et de tenir compte des facteurs aggravants dans la société contemporaine.
Solitude dans… le célibat
Même si je ne doute pas que parfois l’on puisse être, ou se sentir seul malgré un conjoint, le « vrai célibataire » est seul, prisonnier de quatre murs, seul en face de son assiette, chaque jour sauf exception. Personne à qui raconter ce qui l’a peiné ou réjoui dans la journée. Impossible d’entendre une autre voix que la nôtre. Avec le travail extérieur, ce sentiment est légèrement atténué.
Mes attentes seraient de pouvoir avant tout comprendre le plan de Dieu, pour moi (y voir autre chose que la fatalité), mais aussi saisir pleinement ce que veut dire pour moi le verset Genèse 2.18 : « II n’est pas bon que l’homme soit seul ».
Mes solutions sont le plus souvent artificielles : lecture, jeux en solitaire, heures supplémentaires au travail… Ou alors j’essaye de trouver une personne ayant besoin de moi.
Point positif : personne n’a à supporter mes sautes d’humeur !!!
Bien sûr, les invitations (dans les deux sens) me font beaucoup de bien au moral. Heureusement qu’elles existent, même si cela reste sporadique.
Témoignage recueilli par Françoise Lombet |
Premier facteur aggravant : une dévalorisation de la personne
Un des paradoxes de notre société réside en ceci : elle prône un individualisme exacerbé, mais n’a jamais traité aussi mal les individus qui ne correspondent pas à ses critères. En effet, la pire souffrance de la solitude provient du sentiment de ne plus compter pour personne. Ainsi les personnes âgées, et celles qui sont en situation de rupture sociale ou d’échec sont souvent esseulées. Les pauvres, les disgracieux et les malades, ne correspondant pas aux normes sociales de réussite et d’attirance, sont dévalorisés et isolés.
Mon épouse collabore avec le SAMU social d’Avignon, et rencontre ainsi un grand nombre d’hommes et de femmes qui sont à la rue. Elle a pu constater que ces personnes ont un point commun : la souffrance dans leur passé de ne pas avoir été intégrées à un milieu familial et social qui sache leur faire comprendre : « Tu comptes ! Tu as de la valeur ! », malgré les échecs ou les problèmes.
Un début de réponse aux solitudes de la vie sera donc de savoir communiquer cette vérité à quelqu’un qui en souffre : « Tu es important pour Dieu, et donc pour moi ». C’est pourquoi l’écoute est tellement importante, même si aucune solution n’est trouvée. Ecouter une personne en souffrance transmet le message : « Tu vaux la peine que je passe ce temps avec toi. »
Solitude dans… le couple
« La facilité, la présence des enfants, les promesses engagées, le désir d’être fidèle à la parole donnée, à la Parole de Dieu, la peur du contre-témoignage,… font que l’on reste ensemble. Mais les années et le temps grignotent l’amour, le détruisent. Les années passent. La prière, la relation d’aide, rien ne change cette impasse. L’absence de réponse de Dieu est parfois acceptée, parfois subie ou refusée, voire rejetée. Il y a encore des rires, mais il y a souvent des cris, des hurlements et aussi le silence quand même le cri n’a plus lieu, n’a plus de lieu.
Il y a aussi la destruction que le refus de l’autre produit sur l’estime de soi. Celui qui doit vous construire vous rejette : c’est que vous ne devez pas être aimable, c’est que vous n’êtes pas à la hauteur, c’est que vous n’en valez pas la peine… c’est que vous ne valez rien.
Il y a aussi l’église qui ignore ou préfère ignorer la réalité, l’absurdité des phrases toutes faites, des discours moralisateurs parsemés de versets.
Je ne puis croire que Dieu veuille cela, je ne veux pas le croire ».
Témoignage recueilli par Françoise Lombet |
Deuxième facteur aggravant : le péché
Certaines personnes sont seules en raison d’un profond égoïsme qui finit par les priver de leurs relations humaines porteuses de sens. Un homme infidèle et adonné à la pornographie ne doit pas s’étonner s’il se retrouve isolé de sa femme et de ses enfants à l’approche de la vieillesse. Une femme prompte à la critique ne peut que se blâmer elle-même si ses proches s’éloignent d’elle et ses amis la quittent afin de se protéger de ses attentes insupportables.
Le péché porte à conséquence, et la solitude peut en faire partie. Une réponse pastorale biblique se construira selon deux axes : d’une part le pardon pour les péchés et la réconciliation avec Dieu, et d’autre part la transformation du comportement. En effet, l’efficacité relationnelle du pardon dépend de la volonté de changer : la personne exigeante doit cesser de critiquer, l’alcoolique de boire et le colérique de s’emporter.
Si quelqu’un subit la solitude et cherche la réponse à sa souffrance dans l’église, il ou elle ne peut pas exiger d’être « accepté tel que je suis » sans évoluer dans ses comportements et ses attitudes.
Solitude dans… le handicap
« Les moments où je me suis sentie seule, c’est lorsque les personnes que je connaissais avant mon accident, avec qui j’ai grandi, continuent à vivre leurs vies sans se soucier de moi. J’ai l’impression que je ne présente plus d’intérêt pour elles.
Après mon accident, je restais seule quand mes parents partaient travailler. Je souffrais tellement que j’avais l’impression que personne ne me comprenait. Une dame m’a proposé de faire des études bibliques avec elle et, au début, j’ai accepté surtout pour avoir de la compagnie. Si je n’avais pas été seule, si je n’avais pas eu besoin de Dieu, je n’aurais pas cherché à le connaître. La solitude c’est aussi une richesse, un moyen de s’arrêter, de réfléchir à notre vie, à Dieu. C’est important pour mûrir. »
Témoignage recueilli par Françoise Lombet |
L’église locale et la solitude
Je suis convaincu qu’une des nombreuses raisons pour lesquelles Dieu a institué la communauté chrétienne locale est de répondre aux besoins humains, notamment dans ce domaine. Elle est présentée dans la Bible comme un lieu de vie qui ressemble à une famille, un corps, un édifice harmonieux et fonctionnel, une fiancée bien-aimée. Ces comparaisons impliquent la valorisation de l’individu : nous avons tous une signification importante dans ce contexte communautaire.
De nombreuses facettes de la vie d’église contribuent à jouer ce rôle. L’accueil des nouveaux et la disponibilité relationnelle des responsables sont des façons de lutter contre la dévalorisation de l’individu. La régularité de nos réunions et les traditions de nos cultes donnent aux participants de l’église le sentiment d’appartenir à un groupe.
La prise en compte des besoins de tous et la mise en oeuvre des dons de chacun permettent de faire vivre l’église de manière organique. Tant que les responsables savent éviter de formater l’église comme un projet ou une structure programmée en vue d’une certain « rendement », elle demeure la première arme contre les solitudes de la vie.
J.H.
NOTES
1. Jonathan Hanley a travaillé au Pakistan parmi les réfugiés afghans, puis avec les Groupes Bibliques Universitaires. Il a ensuite exercé un ministère pastoral à Cavaillon puis auprès des malades du SIDA. II est l’auteur du livre « Une église rayonnante » et de plusieurs fascicules de la série « Un pasteur dans la poche » (Editions Farel).
2. Ezéchiel 6.14, Job 6.18
3. Ecclésiaste 4.8-9
4. Genèse 2.18