Solitude dans le service
par Jean-Marc PILLOUD
Le personnage d’Elie se détache dans nos Bibles comme étant l’un des plus grands serviteurs de Dieu. Et nous pouvons relire avec profit les chapitres 17 à 19 du premier livre des Rois avant de lire cet article. Mais ce qui donne à sa vie un grand intérêt, c’est qu’il fut un homme de la même nature que nous, comme l’apôtre Jacques le décrit (Ja 5.17)
Cet homme a connu des miracles et des guérisons comme peu d’autres. Pourtant son service pour Dieu ne le mit nullement à l’abri de la pression, du stress, de l’angoisse, de l’anxiété et de ce sentiment profond d’être « le seul qui reste » (1 R 19.10,14).
Quand on examine les événements qui ont précédé ces paroles, on comprend mieux pourquoi ce sentiment de solitude va engendrer chez lui une attitude dépressive. Car ce qui est le plus surprenant chez Elie, c’est que sa crise de dépression survint après sa plus grande victoire spirituelle. Et sa crise fut brutale, sans signe précurseur apparent. Mais si nous jetons un coup d’oeil dans le rétroviseur, nous nous apercevons qu’il y a quand même des indices.
De grands espoirs déçus
Elie nourrissait de grands espoirs pour Israël. Il croyait que, suite à la défaite des prophètes de Baal (1 R 18), le roi Achab et sa femme Jézabel allaient accepter de revenir au Dieu vivant et se détourner des idoles. Mais malheureusement, les événements ne prirent pas la tournure escomptée par Elie. Et plus encore, Jézabel le menaça de mort (1 R 19.2).
Et c’est alors qu’intervient un changement incroyable dans la personnalité du prophète : sa joie se transforme en tristesse et sa hardiesse en crainte. Il eut même peur des menaces de Jézabel et il s’en alla pour sauver sa vie (1 R 19.3).
Son état intérieur était tel qu’il alla même jusqu’à demander la mort. Soit dit en passant, si Dieu exauça plusieurs prières d’Elie, II n’exauça pas celle-là. Mais Dieu lui répondit à sa manière en l’aidant à regarder aux autres plutôt que de se préoccuper de lui-même, et surtout en guérissant les causes de son sentiment de solitude.
Solitude dans… le ministère
Le ministère pastoral a été, et reste pour moi encore souvent vécu comme une source de solitude humaine. Il isole car il est difficile de s’ouvrir à ses collègues anciens, aux frères et soeurs de l’église. Je crois que, même si j’ai souvent lutté contre cet enfermement que provoque une idéalisation du pasteur par les membres de sa communauté, voire par une mauvaise compréhension personnelle du rôle du pasteur, je me suis malgré tout régulièrement retrouvé dans cette prison. On donne, on donne, mais mon humanité, ma réalité, mes besoins, mes souffrances, je dois les taire, on les ignore ou pire, on refuse de les entendre. On ne reçoit plus des gens que pour de la relation d’aide, pour du travail pastoral. On ne voit plus ses collègues que pour mettre au point des programmes, échanger sur des situations de frères ou de soeurs en diffi-culté, prier. Tout cela m’enferme dans un rôle, une fonction. Je voudrais tant être rencontré pour moi seulement. J’ai bien sûr encore quelques amis, mais comme moi très actifs et au loin dans d’autres régions du pays ou du monde. Témoignage recueilli par Françoise Lombet |
Une guérison en profondeur
On aurait pu s’attendre à une Visitation du Saint-Esprit où, tout d’un coup, Elie aurait été remis sur pieds, prêt à reprendre son ministère. Mais non, Dieu agit en lui donnant de la nourriture et en se révélant d’une manière particulière. Mais surtout, II le rejoint dans son humanité. Après des efforts physiques incroyables (160 km à pied), Elie dort, il mange, il dort et il mange à nouveau. Ses forces reviennent, mais il fallait plus que de la nourriture et du repos pour guérir son âme. Nous lisons qu’il marcha 40 jours et 40 nuits jusqu’à Horeb, soit 400 km, avant de se réfugier dans une grotte (tout un symbole) !
Pourquoi Elie en est-il arrivé à un tel désespoir et à un tel sentiment de solitude ?
Son sentiment fait suite à une grande victoire, à une grande expérience avec Dieu qu’il attendait depuis 3 ans et demi.
Ce sentiment de solitude-désespoir fait suite à une période de tension intense et d’hyperactivité physique et spirituelle. Nous avons tous des systèmes d’alarme physique qui entrent en jeu sous l’effet d’une tension. C’est ce système qui nous donne une résistance inhabituelle pour travailler plus que d’habitude dans des périodes ponctuelles de nos vies. Mais c’est lorsque ces moments cessent que le sentiment de solitude-désespoir, voire de dépression peut arriver.
Ce sentiment coïncide souvent avec un état d’épuisement lié à un déséquilibre dans notre vie. Dieu a créé l’être humain pour qu’il agisse dans le cadre de certaines limites physiologiques et psychologiques qui sont différentes pour chacun (attention aux comparaisons !). Si volontairement nous dépassons ces limites, nous en supportons les conséquences, c’est inévitable. Et cela nous pose des vraies questions : Comment vivons-nous la notion du repos en tant que chrétien ? Avec reconnaissance et joie car Dieu l’a voulu ? Ou bien, nous sentons-nous coupables de nous reposer, de nous arrêter, de faire une activité qui nous délasse ?
Ce sentiment de solitude-désespoir est souvent lié à une grande déception et à des illusions perdues. Pour Elie, c’était par rapport à Israël. Il se sentait investi d’une grande responsabilité : « défendre la cause de l’Eternel » (1 R 19:10) et il se sentait maintenant très seul…
Application : comment vivons-nous notre engagement dans le service, et les inévitables déceptions ? Comment comprenons-nous cette promesse de l’Evangile qui nous dit que c’est le Seigneur Jésus qui bâtit son Eglise au travers de nous, serviteurs inutiles ? N’y a-t-il pas pour nous un état de tension, entre l’être et le faire ?
Les leçons pratiques à tirer de l’expérience d’Elie
Etre un chrétien consacré, ayant un service, n’est pas une garantie contre la solitude. Comme Elie, nous sommes humains, nous avons nos limites physiques et psychologiques.
Notre sentiment de solitude déforme toujours notre vision de la réalité. Et lorsque des événements difficiles arrivent dans la vie personnelle, professionnelle ou d’église, on oublie facilement, comme Elie, la fidélité passée de Dieu (torrent de Kérith).
Nous apprenons au travers de l’expérience d’Elie qu’il est nécessaire d’apprendre à nous reposer…
Et que nous sommes plus vulnérables aux attaques de Satan (représenté dans ce texte par Jézabel et Achab) lorsque nous sommes dans un état d’épuisement physique et psychologique.
La thérapie de Dieu
II permet à Elie de récupérer physiquement et cela peut prendre du temps…
Il accorde à Elie une nouvelle révélation de sa personne et la communique avec amour et patience.
Dieu aide aussi Elie à prendre conscience qu’il n’est pas seul à agir. Et là, Dieu est précis, il y a « 7000 hommes qui n’ont pas fléchi les genoux devant Baal » (1 R 19.18). Autrement dit : « Hé, Elie, tu n’étais pas seul à lutter ! »
D’autre part, Dieu fit savoir à Elie qu’il n’avait jamais été dans son intention de lui faire porter tout seul la totalité des problèmes d’Israël. D’autres hommes l’aideraient : Hazaël, Jéhu et celui qui allait occuper une place toute particulière dans la vie d’Elie, son successeur Elisée. Et là, on retrouve deux notions bibliques importantes : le travail en équipe (collégialité) pour lutter contre la solitude, et l’amitié. Tout être humain a besoin d’amis. Quelqu’un a dit : « Si vous voulez savoir qui sont vos amis, il vous suffit de commettre une faute »
L’homme ne peut pas vivre seul dans son service : il faut avoir des vis-à-vis. L’homme est perfectible, il a beau être rempli du Saint-Esprit, il peut être tenté et il a besoin d’écouter les autres conseillers pour être sage.
Il y a aussi une facette très intéressante que nous livre la fin de 1 Rois 19. C’est la réalité des générations. Elie avait un certain âge lors de sa rencontre avec le jeune Elisée. Mais ils ont appris à collaborer ensemble et Elisée a soulagé Elie du lourd fardeau qu’il portait. Combien de temps ce dynamique couple de prophètes a-t-il voyagé et travaillé ensemble ? On l’ignore, mais une chose est certaine, d’après la suite du récit biblique, le sentiment de solitude d’Elie disparut lorsque la collaboration avec Elisée a commencé. N’y aurait-il pas ainsi des duos à créer dans nos églises ? Un système de tutorat pratique, fraternel, où des jeunes dans la foi pourraient apprendre des aînés ? Et où des aînés pourraient apprendre des plus jeunes ?
Quelques questions personnelles
Autant que cela est en mon pouvoir, est-ce que je me maintiens dans une bonne condition physique ?
Ai-je quelqu’un à qui je fais part de mes anxiétés, de mes frustrations, de ma solitude dans le service, sans me sentir jugé ?
La personne à qui j’expose mes sentiments m’aide-t-elle à faire face à la réalité ? Est-ce que je le lui permets ? Suis-je capable d’écouter un conseil ?
La vie d’Elie nous interpelle car cet homme nous est proche, mais nous pouvons réaliser avec reconnaissance que nous avons le même Dieu qu’Elie. Celui-ci a pour chacun de ses enfants des solutions lorsque le découragement arrive, le sentiment d’être seul face à la tâche. Osons dire à Dieu nos sentiments et II répondra en Son temps.
J-M. P.
« J’ai rarement ressenti de façon plus poignante l’isolement de l’homme moderne que devant telle soeur de charité, tel missionnaire ou tel pasteur. Emporté par l’activisme qui sévit dans l’Eglise, ce dernier tient réunion sur réunion, prêche toujours, même en tête-à-tête, a un programme si chargé qu’il ne trouve plus assez de temps pour se recueillir, ne se penche sur la Bible que pour y trouver des sujets de prédication et non plus une nourriture personnelle. Un pasteur, après bien des entretiens, me dit tout à coup : « Je prie sans cesse comme pasteur, mais il y a bien longtemps que je n’ai plus prié comme homme. » Entre collègues, ils discutent de théologie et d’affaires ecclésiastiques, même de cure d’âme, mais ils ne pratiquent pas la cure d’âme mutuelle. Ils se débattent seuls dans d’inextricables problèmes de famille, devant l’assaut de tentations, dans le remords secret de leurs fautes, sans oser s’ouvrir à leurs collègues par crainte d’être jugés, ni à leurs paroissiens par crainte de scandaliser. J’ai connu un pasteur qui était allé au confessionnal catholique pour chercher un apaisement. Et, quand quelque doute vient s’insinuer dans leur âme, ils doivent prêcher quand même, à moins qu’ils n’osent entrer dans quelque clinique psychothérapique pour se retrouver eux-mêmes et reconstruire leur foi ébranlée par les déceptions, les désobéissances et la solitude. » De la solitude à la communauté, Dr. Paul TOURNIER, Delachaux & Niestlé, 1948 |