Foi et athéisme (3): débat J.LENNOX et Richard DAWKINS
– Thèse n° 3 –
Le « Dessein intelligent » est mort
MD – Un autre extrait va vous permettre de discuter de la prochaine thèse qui est : le « Dessein intelligent » est mort, car sinon on devra expliquer qui a conçu le concepteur. L’extrait que je vais lire se trouve à la page 109. Voici ce que vous avez écrit : « Toute la discussion revient à l’éternelle question de savoir qui a fait Dieu, question que ceux qui réfléchissent finissent toujours par se poser. Un Dieu créateur ne peut pas être invoqué pour expliquer la complexité organisée. En effet, tout Dieu capable de créer quelque chose doit être lui-même assez complexe pour exiger le même type d’explication en ce qui le concerne. Dieu représente un recul infini duquel il est incapable de nous aider à échapper. Cet argument, comme je l’expliquerai au chapitre suivant, démontre que Dieu, bien qu’on ne puisse pas techniquement prouver qu’il n’existe pas, est extrêmement improbable. »
RD – Tout d’abord, je trouve extrêmement peu convaincant le fait qu’on puisse dire de la Bible qu’elle prédit le Big Bang. Il n’y a que deux possibilités, soit l’univers a eu un commencement, soit il a été de tout temps. Seulement deux possibilités, tomber sur l’une d’elles n’est vraiment pas si impressionnant (applaudissements du public). (JL – En tout cas, elle est tombée juste… !) (rires du public… ) Jouez à pile ou face et vous tomberez juste 50 % du temps. Bien. Le « Dessein intelligent » est mort, car sinon on doit expliquer qui a créé le créateur. Nous passons très vite sur beaucoup de choses pour arriver à la conclusion que le « Dessein intelligent » est mort. Je pense que probablement John et moi serions d’accord que la vie est expliquée.
DARWIN explique la vie, et aucun scientifique digne de ce nom ne met cela en doute. Ainsi, nous revenons à l’étape précédente, peut-être plus compliquée encore que la compréhension d’où nous venons, c’est la compréhension de l’origine de l’univers lui-même. Et ceci est véritablement difficile. Nous ne savons pas. Nous comprenons pour l’essentiel la biologie, mais nous ne comprenons pas la cosmologie. Nous pouvons dire que la cosmologie attend son propre DARWIN. John a mentionné dans la réponse à la précédente question que les constantes physiques sont réglées très finement, et il est vrai que de nombreux scientifiques, physiciens, soutiennent que les constantes physiques, une demi-douzaine de nombres que les physiciens sont obligés de prendre en tant que donnés pour construire le reste de leurs connaissances, ne peuvent qu’être supposées vraies.
On ne peut pas trouver une explication rationnelle à pourquoi ces nombres existent. Les physiciens ont calculé que si un seul de ces nombres avait été légèrement différent, l’univers tel que nous le connaissons n’existerait pas. Nous ne serions pas là. L’univers aurait peut-être fait long feu. Rien n’aurait pu fonctionner. Il est encore une fois très tentant d’importer l’idée simpliste, facile, d’un concepteur, de dire qu’un concepteur a tripoté les manettes de l’univers au moment du Big Bang pour les ajuster avec précision, la constante gravitationnelle, la « force forte », l’ »interaction faible », etc. Mais il me semble manifestement évident que ceci est une explication futile parce que, comme le dit la citation « Qui a conçu le concepteur ? » On n’a rien expliqué du tout. Parce qu’au lieu de dire simplement que les manettes étaient réglées aux valeurs requises de toute façon, vous dites : « Oh non, il y avait un Dieu qui savait comment régler ces manettes sur les bonnes valeurs. » Si vous postulez cela, vous avez en quelque sorte esquivé la vraie question.
Certains physiciens ont résolu ce problème, non pas en invoquant Dieu bien sûr, mais en invoquant le « principe anthropique » qui dit : nous sommes là, nous existons, nous devons être dans le genre d’univers capable de nous produire. Je crois que cela n’est pas satisfaisant et, comme John LENNOX l’a bien dit, certains physiciens ont résolu cette question à l’aide de l’idée d’univers multiples (multivers). Elle postule que notre univers est l’un de nombreux univers, qu’il y a comme un foisonnement, un bouillonnement d’autres univers. Et la bulle dans laquelle nous nous trouvons n’en est qu’une parmi des milliards d’autres.
Et si chacun de ces univers a ses propres constantes, la plupart d’entre eux possèdent des constantes qui ne sont pas adaptées à l’émergence de la stabilité, de la chimie, des conditions qui permettent à l’évolution biologique, l’évolution darwinienne, de se développer. Une infime minorité de ces univers possède ce qui est nécessaire à l’émergence de cette évolution darwinienne, d’abord la chimie, ensuite l’évolution. Et cette infime minorité doit inclure notre univers – parce que nous sommes là. Le principe anthropique, qui dit que nous devons être dans un univers capable de nous engendrer, ajouté au principe des univers multiples apportent une explication provisoire, mais satisfaisante, beaucoup plus satisfaisante que l’idée d’un concepteur, pour les raisons déjà évoquées.
Ensuite, maintenant que nous avons un univers qui est capable d’engendrer des étoiles, capable de produire la chimie, et enfin capable d’engendrer les origines de la vie, l’évolution biologique prend le relais et là nous abordons la dernière ligne droite : maintenant l’on comprend ce qui s’est passé. Une fois que l’évolution biologique se met en marche, il est facile de comprendre la plupart de ce qui est difficile – la difficulté majeure dans la compréhension de l’univers consiste en l’incroyable complexité de la vie, c’est cela qui réellement impressionne les gens. C’est la raison pour laquelle les croyants croient en Dieu, parce qu’ils regardent le monde vivant et ils voient combien il est impressionnant. Maintenant, cette capacité d’impressionner est complètement anéantie par DARWIN. DARWIN, bien sûr, n’explique pas l’origine de l’univers, pour cela j’invoque le principe anthropique et le principe des univers multiples, moins satisfaisants, bien sûr, mais la science fait des progrès… Ce dont vous devez être absolument sûrs, c’est qu’un concepteur créatif ne peut pas être une explication satisfaisante.
MD – Docteur Lennox…..
JL – Ce principe anthropique, Richard, tel que vous l’avez expliqué, je pense que c’est un truisme absolu. Bien sûr, nous devons être sur tel type de planète, sur une planète du genre où nous pouvions apparaître. Mais cela ne répond pas à la question de savoir comment il se fait que nous y sommes ! Et je crains que je doive m’opposer à vous sur la question du darwinisme. Le darwinisme n’explique pas la vie. Il peut expliquer certaines choses qui se produisent lorsqu’il y a la vie. Mais l’évolution suppose l’existence d’un « réplicateur » qui mute, il n’explique pas comment ce « réplicateur » est apparu. Et il y a là une question essentielle… [qu’on ne peut pas aborder ici].
Je voudrais aborder la question de « Qui a conçu le concepteur ? » C’est la bonne vieille question de l’écolier qui se demande qui a créé Dieu. Je suis assez étonné de trouver que c’est un argument central de votre livre, parce que cela suppose que Dieu est créé. Et je ne suis donc pas surpris que tu appelles le livre « The God Delusion » parce que des dieux créés sont par définition une illusion. Maintenant, je sais, et j’essayerai d’expliquer, que Richard n’aime pas les gens qui lui disent ne pas croire au dieu auquel il ne croit pas… Mais je pense qu’ici nous appuyons là où ça fait mal, car vous vous exposez à un reproche sérieux.
C’est vous qui prétendez que Dieu est une illusion, et afin d’évaluer le poids de cet argument, j’ai besoin de savoir ce que vous entendez par « Dieu ». Et si vous dites : « S’il y a un Dieu, on doit savoir qui l’a créé », cela signifie que vous vous limitez à réfléchir au sujet de dieux créés, alors que personne ne croit en un dieu créé ! Ni Juifs, ni musulmans, ni chrétiens. Je pense donc que cet argument est complètement inutile et que vous devriez le ranger au rayon des curiosités. Le Dieu qui a créé l’univers, Mesdames et Messieurs, n’a pas été créé ! D est éternel. C’est la différence fondamentale entre Dieu et l’univers. Celui-ci a eu un début, Dieu non. Et c’est précisément le point que l’apôtre Jean des chrétiens souligne au début de son évangile. « Au commencement était le Verbe » : le Verbe était déjà. « Toutes choses sont advenues par lui. » Dieu n’est pas créé, l’univers a été créé par lui.
Maintenant, je ne sais pas si Richard a des problèmes avec le concept du « non-créé ». Je ne le sais pas et j’aimerais beaucoup savoir s’il croit, en tant que matérialiste, que la matière et l’énergie et les lois naturelles ont toujours existé. Si c’est le cas, il croit effectivement à quelque chose d’éternel. Peut-être sa vraie difficulté est-elle de croire en une personne éternelle. J’aimerais creuser cette question, car il a suggéré que le fait de prendre en compte l’existence de Dieu signifierait la fin de toute science. « Dieu n’est pas une explication, car par définition Dieu est plus complexe que ce que vous tentez d’expliquer. »
Ceci est l’argument principal de son livre. Je n’aurais pas cru qu’un scientifique avancerait ce genre d’argument, car les explications scientifiques elles-mêmes vont généralement dans le sens d’une complexité grandissante. La chute d’une pomme est un événement simple, pourtant son explication à l’aide des lois de la gravitation découvertes par NEWTON semble difficile à saisir pour bien des personnes. Mais son explication à l’aide de la notion de distorsion spatio-temporelle donnera du mal aux plus intelligents. La simplicité n’est pas le seul critère pour distinguer la vérité.
Prenons un exemple… Vous êtes archéologue et nous explorons ensemble une grotte. Vous êtes un expert en tout ce qui est chinois. Sur la paroi, vous remarquez deux griffures et vous dites : « Intelligence humaine ! » Moi, je réponds : « Pardonnez-moi, mais je ne vois que des griffures. » Vous dites alors : « II s’agit du caractère chinois qui signifie « être humain ». » Je vous dirais : « Richard, ce n’est pas une explication ! Vous postulez l’intervention de quelque chose d’aussi complexe qu’un cerveau humain dans le seul but d’expliquer deux griffures. Votre explication est plus complexe que la chose que vous cherchez à expliquer. Ce n’est pas une explication recevable ! » II me semble que c’est là précisément ce que vous dites dans votre livre.
Ce qui nous permet de déduire l’intervention de quelque chose d’aussi complexe que l’intelligence humaine à partir de deux griffures sur la paroi d’une grotte, c’est leur dimension sémiotique : elles sont porteuses de sens. En tant que mathématicien, je suis fasciné par ce genre de choses. Le réductionniste s’oblige à expliquer des choses porteuses de sens – y compris la molécule d’ADN – à partir de leurs matériaux de base. Mais le prix Nobel Roger SPERRY a fait remarquer il y a déjà longtemps que le sens d’un message ne se déduit pas des propriétés physiques et chimiques du papier et de l’encre !
J’ai aussi trouvé très intéressant le fait que dans votre livre vous approuvez les physiciens qui recherchent une « TdT »
– une théorie du Tout. Entre nous, en 2004, Stephen HAWKING a démontré, sur la base des mathématiques de GOODALL et de leurs applications physiques, qu’il n’y a pas d’espoir pour une « TdT ». Mais cela m’a intéressé de lire que, si j’ai bien compris, vous considérez qu’une « TdT » serait une bonne chose pour la physique. Vous aimeriez assez une Théorie du Tout
– à condition qu’elle ne laisse pas de place pour Dieu !
Notes de traduction :
Thèse 1 :
Faits observés : pour « évidence » dans l’original. En effet, la nuance en anglais existant entre « proof » et « évidence » est assez rare en français. Nous avons tendance à confondre l’usage de ces deux termes. Pourtant, cette distinction est importante ici, car plus loin John Lennox s’appuiera sur elle dans son argumentation.
« Evidence » renvoie à des observations qui tendent à confirmer, alors que « proof » correspond à une preuve d’ordre logique, comme en mathématiques, par exemple.
Dieu bouche-trou : « God of thé gaps » dans l’original. C’est une expression parfois associée au mouvement créationniste, aux États-Unis, par ses opposants.
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