Le judéo-christianisme responsable des problèmes écologiques1
par François-Jean MARTIN
1. Historique
L’opinion que la pensée judéo-chrétienne est responsable de la dégradation de la nature par la civilisation occidentale a été exprimée il y a 58 ans par le penseur bouddhiste zen Daisetz suzuki.
Cette thèse a acquis du poids dans les milieux universitaires américains à la suite d’une conférence donnée, fin 1966, à Washington, à l’Association Américaine pour l’Avancement des Sciences, par Lynn white Jr, professeur d’Histoire à l’Université de Los Angeles2. Son texte a été ensuite largement et intégralement diffusé par diverses revues.
« La science et la technologie modernes, écrit L. white, sont l’une et l’autre tellement imprégnées de l’arrogance du christianisme évangélique envers la Nature qu’on ne peut espérer d’elles seules une solution à notre problème écologique. Puisque les racines du mal sont en majeure partie de nature religieuse, le remède doit être essentiellement religieux. »3
Destruction de la mangrove protégeant la côte
Un an, à peine, après la conférence de L. white, un sociologue américain, Richard L. means, se plaçant d’ailleurs dans une perspective plus pragmatique que vraiment religieuse, proposait, dans un article de revue4, une solution au problème soulevé : revenir au Dieu du panthéisme5.
Le panthéisme, puisqu’il reconnaît que Dieu est en chaque chose, doit respecter tout ce qui existe dans la Nature. En principe, le panthéisme apporte une solution « religieuse » aux problèmes écologiques de l’heure en inculquant aux hommes une attitude de respect vis-à-vis de chacun de ses constituants.
Les anciennes religions grecques et romaines étaient animistes. Avant de couper un arbre ou de capter une source, il fallait apaiser son esprit gardien. On ne s’y risquait donc pas sans hésitation.
Par contre, selon la Bible, l’homme façonné à l’image de Dieu, est séparé des autres créatures. Dieu lui a confié la mission de dominer la Nature, laquelle ne semble guère exister que pour le servir. De dominer à utiliser abusivement, il n’y a qu’un pas et l’homme l’a allègrement franchi, traitant trop souvent les êtres et les choses avec une totale désinvolture.
2. La réfutation de ces arguments
II est facile de réfuter les arguments de l’historien L. white en s’appuyant sur des faits historiques, ceux de l’histoire des agressions écologiques commises par l’homme.
Sans remonter aux temps préhistoriques mentionnons :
Platon, qui écrit au début du 4e siècle avant notre ère : « Notre terre est demeurée, par rapport à celle d’alors, comme le squelette d’un corps décharné par la maladie. Les parties grasses et molles ont coulé tout autour, et il ne reste plus que la carcasse nue de la région. »6 II constatait ainsi que, bien avant sa naissance, le déboisement et le pâturage excessif avaient ravagé le sol de la Grèce.
Une civilisation mexicaine7 s’est effondrée au VIIème siècle de notre ère par suite de la destruction des forêts qui l’entouraient.
La Chine a anéanti ses arbres aux temps modernes et les moines bouddhistes eux-mêmes, pour édifier leurs temples, ont déboisé certaines régions de l’Asie du Sud-Est.
Toutes ces destructions sont le fait de « païens » ; elles n’ont donc pas été inspirées par la mentalité judéo-chrétienne !
« Dans le monde entier, et de tous temps, les hommes ont pillé la Nature et perturbé l’équilibre écologique, généralement par ignorance, mais aussi parce qu’ils ont toujours été plus soucieux d’avantages immédiats que d’objectifs à long terme. De plus, ils ne pouvaient pas prévoir qu’ils allaient au-devant de catastrophes écologiques et n’avaient d’ailleurs guère d’autres choix. Si les hommes sont plus destructeurs aujourd’hui que par le passé, c’est parce qu’ils sont plus nombreux et parce qu’ils ont à leur disposition des moyens de destruction plus puissants et non parce qu’ils ont été influencés par la Bible » (R. DUBOS)8
Toutes les civilisations, à toutes les époques, dans le monde entier, quel que soit leur substratum religieux ou idéologique, ont utilisé abusivement les richesses du globe.
Il est d’ailleurs remarquable que la préoccupation de protéger la Nature, d’éviter la destruction de l’environnement, de réaliser une saine et durable gestion des richesses mondiales émane essentiellement des Occidentaux, lesquels appartiennent justement à la tradition judéo-chrétienne, et non au bouddhisme.
3. Vision chrétienne de l’homme dans la Création9
Place et rôle de l’homme dans la création
Le Dieu de la Bible, à la fois infini et personnel10, est bien distinct de !a Nature, sa création. Cette dernière n’est pas une extension de l’essence divine ; elle est une oeuvre de Dieu et possède une réalité propre.
Deux grandes coupures (des « abîmes ») délimitent la place de l’homme par rapport à Dieu et par rapport au reste de la création.
Le premier « abîme » sépare le Dieu infini de son œuvre, elle-même finie et dépendante de lui. Dans la création, l’homme, les animaux, les végétaux et tous les objets inanimés forment une suite. On comprend dès lors les réelles affinités entre l’homme et les animaux, et même entre lui et tout le reste de la Nature.
Le deuxième « abîme » sépare, dans la liste précédente, l’homme du reste de la création pour le rapprocher de Dieu : le Dieu personnel et l’homme, fait à son image, sont des personnes, à la différence des animaux, des végétaux et des choses.
Donc, l’homme occupe une place unique au sein de la Nature. D’une part, objet d’une création spéciale de Dieu, il est capable de vie spirituelle ; d’autre part, il est relié à tout le reste de la création dont il fait intégralement partie. L’homme doit en tenir compte dans son comportement vis-à-vis de la Nature : chaque être, chaque objet doit être traité par l’homme conformément au dessein que Dieu a eu à son égard. L’homme est libre de tout utiliser, mais il doit traiter la Nature avec respect parce que Dieu l’a créée. L’homme peut se « soumettre » la terre ; il ne doit pas l’épuiser. Il ne doit pas malmener la création de Dieu.
Cependant, l’homme exploite ses semblables, il pollue, déséquilibre son environnement, détruit les autres créatures pour satisfaire ses intérêts, ses appétits. C’est, qu’après la création, est intervenue la Chute et que le péché, entré dans le monde, y poursuit son action, faussant toute l’œuvre de Dieu. Aujourd’hui, sur le plan collectif, nous pouvons comprendre un peu ce que représente la réalité du péché à l’importance des ravages causés par l’homme.
La promesse de la nouvelle création
La Bible raconte le grand œuvre de Dieu pour réparer la chute de l’homme et en détruire les conséquences. Son point culminant est la réconciliation, avec son Dieu, de l’homme délivré du péché par le moyen du sacrifice de Jésus-Christ et la foi en son efficacité.
L’œuvre de Christ dépasse le seul salut de l’homme et s’étend à toute la création, comme nous l’enseigne l’apôtre Paul : « Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu (les chrétiens). Car la création a été soumise à la vanité non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise avec l’espérance qu’elle sera aussi affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Et ce n’est pas elle seulement ; mais nous aussi (les chrétiens) qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps » (Rm 8.19-23). Lors de la résurrection des morts, la rédemption s’étendra à la totalité de la création. Une Nature rachetée, renouvelée, purifiée, sans pollution, ni ruptures d’équilibres, parfaite, est donc promise pour « la fin des temps ».
Ecoutons Francis schaeffer : « Christ est mort, II est notre Sauveur, II va revenir et nous ressusciter des morts. Puisque tout ceci, la mort de Christ, sa résurrection, et ce qui arrivera lors de son retour est vrai, il faut que dès maintenant, par la foi et par la puissance du Saint-Esprit, cette réalité soit sensible dans notre vie. »11
En Christ, plus d’égoïsme
Comment vivre cela ? C’est encore Paul qui le formule : « Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons avec lui… Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Rm 6.8-11).
Si donc, nous sommes vivants pour Dieu en Jésus-Christ, c’est dès maintenant que nous devons participer à son œuvre « re-créatrice » en cherchant un « renouveau sensible (c’est-à-dire visible, manifeste) dans tous les domaines (qui ont été) frappés par la Chute »12 : c’est-à-dire celui des relations entre Dieu et les hommes, celui de la vie intérieure de chaque homme, celui des relations entre les hommes (le couple, la famille, l’Eglise, la société …), celui des relations entre les hommes et la Nature et des éléments de la Nature entre eux.
Pour réaliser pratiquement cet idéal, le chrétien ne devra pas oublier que rien n’est autonome dans la création. La Nature elle-même ne l’est pas : quand l’homme (matérialiste ou chrétien inconséquent) l’estime comme telle, il a tôt fait de la dévorer (c’est le drame actuel). L’homme non plus n’est pas autonome : le chrétien n’a pas le droit de se considérer comme le maître souverain de la Nature ; elle n’est pas sa propriété ; il rien est que le gérant. Êtres et choses lui sont confiés. Il peut utiliser la Nature ; il ne doit pas abuser de ses richesses, qui sont limitées.
Mort au péché, le chrétien doit se refuser à l’égoïsme. II doit le montrer dans les problèmes très concrets du respect de son environnement ; il doit se refuser à l’exploitation de l’homme par l’homme, à la cupidité, à !a poursuite éhontée du profit, à la course au rendement, au travail hâtif, mal fait, à tout ce qui peut dégrader, enlaidir, à tout ce qui pourrait faciliter la vie d’une génération, mais aux dépens de celles qui suivront.
Ces actions peuvent se réaliser sur le plan individuel. Elles ont plus de poids quand elles sont menées sur le plan collectif, au sein de l’Eglise. Celle-ci devrait se présenter comme l’usine « modèle » ou « pilote » pour l’humanité, témoignant par la profondeur de son unité et donnant courageusement de sages, vrais et justes conseils chaque fois qu’il le faut.
Conclusion
II est inexact de prétendre que le récit biblique de la création ait pu être à l’origine de la pollution et du pillage de notre planète. Cette situation est l’œuvre de tous les hommes. Si ceux des pays occidentaux polluent et détruisent plus que ceux du tiers-monde, c’est la conséquence de leur plus grande puissance économique13 et non à cause de leur formation judéo-chrétienne. « Les civilisations orientales professent en paroles le caractère sacré de la Nature, mais, en pratique, elles abattent les forêts, dégradent la terre, extraient le charbon, le pétrole et le minerai, pratiquent la monoculture et polluent leurs environnements avec une brutalité qui n’a rien à envier à celle de l’Occident. La technologie scientifique ne connaît pas de frontières politiques ou culturelles »14
Toutefois, il est probablement juste de reconnaître que celui qui n’a de chrétien que le nom aurait plutôt été poussé (mais si peu !) que freiné dans son appétit de domination par le texte de Genèse 1.28. Ce verset a tout au plus pu contribuer à lui donner « bonne conscience ».
Quant au chrétien fidèle, il doit, face au monde, prendre pour lui la charge que Dieu avait confiée à Adam dans le jardin d’Eden : se considérer placé là par Dieu « pour le cultiver et pour le garder » (Gn 2.15). Mais, il doit aussi reconnaître et demander pardon pour sa participation comme les autres êtres humains à la destruction de la création. Vivant par là un changement de mentalité, il se doit d’agir en conséquence par ses choix et ses actes dans la vie de tous les jours.15
F-J.M.
NOTES
1. Ce travail est tiré du texte de Jean Humbert paru dans la revue Ichthus, N°50, 1975 sous le titre « Crise écologique : Le christianisme en accusation ». Il est coupé et transformé par mes soins, l’auteur ne peut donc être responsable de mes propos élaborés à partir de son travail.
2. Conférence donnée le 26.12.1966. Publiée par « Science », volume 155, 10 mars 1967, sous le titre de « Ecological Crisis ». Traduction dans « La pollution et la mort de l’homme » de Francis SCHAEFFER, Guebwiller, LLB, 1974 pp. 79 à 97.
3. Schaeffer, op. cit. p. 97
4. R. Means était alors professeur-adjoint de sociologie au Collège Kalamazoo dans le Michigan. Son article intitulé Pourquoi se préoccuper de la nature ? (Why Worry about Nature ?) a été publié dans le Saturday Review du 2 déc. 1967, traduit en Schaeffer op. cit. pp. 98 à 106.
5. Schaeffer, op. cit. pp. 20 et 105-106. Le panthéisme est la doctrine métaphysique d’après laquelle Dieu et la Nature se confondent. Dieu n’est pas transcendant, distinct du cosmos. Il est la somme de tout ce qui existe. Il se confond avec tous les êtres, toutes les choses qui renferment, en elles, une parcelle de la divinité. L’essence divine s’étend à tout. En fait, dans son article, R. MEANS n’emploie pas le mot panthéisme, mais une analyse serrée de son texte, faite par F SCHAEFFER, montre que cette conception y est sous-jacente.
6. Le Critias.
7. Civilisation Teotihuacan. La forêt a été détruite pour avoir le combustible nécessaire à la fabrication de la chaux ; l’érosion qui en résulta conduisit à un désastre.
8. René DUBOS « Les dieux de l’écologie » Paris, Col. Ecologie, Ed. Fayard, 1973, pp. 119 et 120.
9. Très tôt, dans son livre « Pollution et mort de l’homme » Francis SCHAEFFER a formulé les positions évangéliques en réponse aux accusations portées contre le judéo-christianisme. En nous appuyant sur les travaux de Jean HlUMBERT, nous en donnons ci-après un aperçu fort résumé.
10. Les dieux de l’Orient sont infinis et impersonnels ; les dieux grecs et romains, les dieux anglo-saxons ou Scandinaves étaient personnels mais finis.
11. SCHAEFFER, op. cit. p. 50
12. SCHAEFFER, op. cit. p. 50
13. Les pays émergents comme la Chine et l’Inde ne sont pas de culture judéo-chrétienne et sont parmi les principaux responsables des graves problèmes écologiques actuels.
14. R. dubos, op.cit. p. 154
15. Voir, page 13 de ce même numéro, l’article de Françoise LOMBET.