La Trinité divine dans le Nouveau Testament
par Jean-Pierre BORY
Le terme de Trinité ne se lit pas dans le Nouveau testament, pas plus que dans l’Ancien. Il n’apparaît que vers 181 ap.J.-C dans un écrit de Théophile d’Antioche sous sa forme grecque « trias » (triade), puis en latin « trinitas » sous celle du grand théologien Tertullien.1 Et pourtant le Nouveau Testament affirme clairement la réalité et la nécessité de la trinité, indissociable de l’unicité de Dieu.
Unicité et pluralité de Dieu
Le Nouveau Testament confirme le monothéisme déjà révélé dans les écrits de Moïse. Jésus (cité en Mc 12.29) rappelle l’unicité de Dieu : « Le Seigneur, notre Dieu le Seigneur est un ». L’apôtre Paul croit aussi « en un seul Dieu » (1 Co 8.4 ; 1 Tm 2.5) et Jacques de même (2.19). La religion gréco-latine était largement polythéiste, et l’annonce d’un Seigneur Christ et d’un Saint-Esprit divin à côté d’un Dieu-le-Père, pouvait aisément suggérer l’existence d’un nouveau panthéon. Paul réfute toute idée de polythéisme (Ga 4.2). « Nul ne songe à un Dieu à trois têtes » disait Calvin. L’unicité divine est un fondement de l’enseignement chrétien.
Toutefois ce Dieu unique est nommé Père environ 260 fois dans le Nouveau Testament et, dans de nombreux cas, un Fils lui est associé (Mt 24.36 ; Lc 10.21-22). Un être n’est père que s’il a un fils. Cette qualité de Père implique une pluralité en l’être de Dieu.
Déclarations générales
A plusieurs reprises, à côté du Père et du Fils, un troisième être de Dieu apparaît : l’Esprit. Lors du baptême de Jésus, l‘Esprit de Dieu descend sur lui et une voix d’autorité vient du ciel déclarant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », ce qui identifie la voix comme étant celle du Père (Mt 3.16-17). En Jn 14.16-17, le Fils prie le Père d’envoyer le Consolateur, l’Esprit de vérité. Un peu plus tard, c’est au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit que les disciples reçoivent l’ordre de baptiser les nouveaux croyants (Mt 28.19)
Dans les épîtres, sous la plume de Paul, Pierre et Jean, les trois personnes de la Trinité sont associées dans la bénédiction apostolique (2 Co 13.13) et dans une action commune (1 Co 12.4-6 ; 1 P 1.2 ; 3.18-19 ; Ap 1.4-8). Paul décrit de façon magistrale comment l’œuvre rédemptrice de Dieu se réalise dès les temps anciens sous l’impulsion du Père, agissant par le Fils et avec l’action définitive du Saint-Esprit aujourd’hui (Ep 1.3-14). Chacune de ces personnes est bien distinguée des deux autres dans le Nouveau Testament, tout en étant intimement liée aux autres par une communauté de nature ou d’essence (ou de « substance » sous la plume de Calvin).
L’essence divine
L’Eglise primitive a peiné pour dire Dieu avec les mots dont elle disposait. Il faut bien comprendre ce terme « essence » : la première qualité de Dieu est d’être (esse en latin) ; Dieu est Dieu, parce qu’il est celui qui est. En dehors de lui, rien ne peut être : c’est parce qu’il nous a donné d’être que « nous sommes » (Ac 17.28).
Nous comprenons que Dieu, en tant que créateur, a communiqué, a attribué la faculté d’être aux créatures. C’est pourquoi, en citant une expression tirée d’écrits de deux poètes grecs (Aratus et Cléanthe) « nous sommes aussi de sa race » (de Dieu), Paul rappelle que l’homme, créé à l’image de Dieu, a véritablement un degré intime de parenté avec Lui. Mais si l’homme bénéficie de l’existence, son être reste fondamentalement distinct de l’être de Dieu ; la créature ne participe pas à la divinité. Seul, Dieu peut dire « Je suis ».
La personne du Fils
Jésus-Christ, lui, existe « en forme de Dieu » (Ph 2.6) ; il est dit « engendré de Dieu » pour indiquer qu’il est de même nature que le Père (Hé 1.5) et préexistant2]. Paul l’appelle « notre grand Dieu et Sauveur, le Christ-Jésus » (Tt 2.13). Les théologiens de l’Eglise primitive le disent homoousios, consubstanciel, de même essence que le Père. Il porte le titre de Fils, siège sur un trône éternel, il détient le sceptre de justice, les anges de Dieu l’adorent, il est Dieu comme Dieu l’est, créateur lui-même (Hé 1.5-6,9-10 ; Ap 3.14).
Comme l’écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux, en tant que Fils, Jésus possède en lui-même l’essence divine, il est l’image même (l’empreinte) de celle du Père. Il n’a pas été doté d’une part d’essence divine, mais il possède totalement et de toute éternité « l’être-à-égalité-avec-Dieu »3. A nos yeux il révèle le Père (Jn 14.8-11) : on peut « voir » le Père en Jésus, entendre le Père dans les paroles de Jésus. Le Père est en lui, il est dans le Père.
Dieu étant éternel, le Fils l’est au même titre que le Père. C’est ce que Jésus explique sans ambiguïté aux juifs orthodoxes dans le temple même de Jérusalem : « c’est de Dieu que je suis sorti » (il utilise la préposition et la fait suivre du préfixe ek pour bien souligner sa provenance) ; il clôt l’un de ses entretiens en n’hésitant pas à reprendre à son compte le « JE SUIS » de l’Exode (Jn 8.42, 58). Les qualités ou attributs qu’il manifeste pendant son ministère terrestre prouvent sa divinité : omniscience, toute-puissance, omniprésence, etc.4
Nous comprenons qu’il y a identité d’essence entre le Père et le Fils, et aussi que le Fils existe en tant que personne agissante et distincte de celle du Père, la première étant parfaitement qualifiée pour révéler la seconde.
La personne de l’Esprit
Certains ont vu dans l’Esprit une puissance ou un aspect de la personne de Dieu puisque Dieu est esprit. Mais le N.T. présente l’Esprit comme une personne distincte du Père et du Fils : il est un autre consolateur (Jn 14.16-17), il scrute les pensées de Dieu (1 Co 2.10). Il agit lui-même (Jn 16.13-14 ; Ac 13.2). L’esprit, pneuma, est une forme neutre en grec, comme les objets en général ; or dans ces textes évoquant l’Esprit Saint, ce dernier est remplacé par un pronom masculin, ce qui l’identifie clairement comme une personne.
D’ailleurs il est doué de parole, de volonté, de pensée, de sentiments, comme tout être personnel (Ep 3.5 ; Rm 8.27 ; Ep 4.30). Il est lui aussi d’essence divine, de même nature que Dieu le Père ; il est le Saint-Esprit de Dieu (Ep 4.30 ; cf. 1 Th 4.8) ; sa parole est celle du Père (Mt 10.20) ; il est Esprit de vérité comme Dieu et le Christ sont vérité. Il est aussi de même essence que le Christ (Rm 8.9). L’Esprit est souvent associé à Dieu le Père et au Fils, non seulement dans les formules baptismales ou les salutations, mais dans les évocations plus larges du plan d’action de Dieu (Ep 1.3-14; Col 1.3-8 ; 1 Th 1.2-6). Le Saint-Esprit est une personne individuelle de la trinité au même titre que le Père et le Fils, partageant la même essence divine.
La Trinité, une société
« Quand nous affirmons croire en un seul Dieu, le mot Dieu désigne une essence unique dans laquelle sont comprises trois Personnes ou hypostases »5 disait Calvin6. « En une seule essence divine, il y a Trinité de personnes ». Cette trinité est une disposition fondamentale pour la révélation et la réalisation du plan de Dieu. La mission du Fils qui s’incarne et celle du Saint-Esprit qui convainc sont indispensables à la réalisation du plan du salut. Les deux viennent du Père et conduisent au Père.
La présence de l’Esprit est manifeste dans le ministère terrestre de Jésus dès son baptême (Lc 4.14) ; Jésus l’annonce comme Esprit de vérité, Esprit vivifiant qui fait renaître, Consolateur qui doit venir. Après son ascension, Jésus reste présent dans l’Eglise car le Saint-Esprit est aussi l’Esprit de Christ (Rm 8.9), l’Esprit de Jésus (Ac 16.7) ou du Fils (Ga 4.6). La trinité se manifeste dans une pluralité de missions et une unité d’action parfaite.
Cette pluralité de personnes fait de la trinité une société dont les membres établissent entre eux des rapports dans une pleine harmonie. Ces rapports sont-ils de type hiérarchique ou « anarchique » ?7 Une des difficultés majeures sur laquelle a buté l’Eglise dès les premiers siècles, a été de définir la structure de la Trinité, les relations des personnes qui la composent et leur ordre.
Le Nouveau Testament suggère en effet un ordre dans la trinité économique (révélée dans l’économie du salut) : Le Père a envoyé le Fils (Jn 3.17), l’a établi (Hé 1.2) et le Fils transmet les Paroles du Père (Jn 3.34 ; 7.16) ; le Saint-Esprit est envoyé par le Fils de la part du Père (15.26 ; 16.7), le Père l’envoie sur la prière du Fils (Jn 14.16). Avec l’Eglise primitive nous disons que le Fils est envoyé par le Père et que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Nous croyons aussi que cet ordre révélé, Père, Fils, Saint-Esprit, découle d’un ordre éternel, ontologique, lié à la nature même de Dieu.
Nous pouvons adhérer au symbole d’Athanase (4e s.) : « Nous adorons Un Dieu dans la Trinité, et la Trinité dans l’Unité, sans confusion des Personnes et sans division de la substance » (l’essence).
J-P.B
NOTES
1. H.C.THIESSEN, Esquisse d’une théologie biblique, Ed.Farel, 1987, p.104. Voir aussi l’article « Survol historique de la Trinité » en page 8 de ce même numéro de SERVIR.
2. Voir à ce sujet l’étude approfondie de Philippiens 2.6 par A. KUEN dans Encyclopédie des difficultés bibliques, 2e vol. Les lettres de Paul, p. 430-434.
3. Traduction de Ph 2.6c par H. BLOCHER ; cité par A. KUEN, op.cit., p.436.
4. Voir H.C. THIESSEN, op.cit, p. 106 à 111 ; et articles sur Jésus-Christ dans les Dictionnaires Bibliques.
5. En Hé 1.3, le grec utilise ce terme pour désigner l’être ou la personne du Père.
6. CALVIN, Institution Chrétienne, Edition abrégée en français moderne, Presses Bibliques Universitaires, 1985, p.38. Voir aussi, p. 34-35, l’explication claire de calvin sur les divers termes employés par les premiers théologiens pour décrire la nature et les personnes de la trinité divine.
7. an-archique : ce graphisme est proposé par H. BLOCHER pour désigner l’absence d’un ordre dans la trinité. Lire son solide article sur cette question et ses enjeux théologiques et pratiques dans Théologie Evangélique, vol.l, n°2, 2002, p.3-20.